Pamandzi — Marcel Henry, l’aéroport en bout de piste : quand Mayotte exige enfin de décoller 

Larissa Rahelison

Quand on parle des grands aéroports français, on cite Paris-Charles-de-Gaulle, Paris Orly ou encore Toulous-Blagnac, mais rarement, même trop rarement, Pamandzi — Marcel Henry, à Mayotte. Et pourtant, cet aéroport incarne à lui seul toutes les contradictions d’un territoire français qu’on préfère souvent oublier : géographiquement isolé, politiquement marginalisé et climatiquement menacé.

En décembre 2024, le cyclone Chido, d’une violence extrême, a soufflé bien plus qu’un vent tropical. Il a soulevé une réalité brutale : celle d’une île à genoux, privée d’infrastructures capables de faire face à l’urgence. Et au centre de cette tempête, l’aéroport de Pamandzi, ce petit géant fatigué, a révélé les limites d’un État qui promet, mais qui tarde à agir.

Aéroport Marcel Henry, par Wikipedia

Une figure emblématique : Marcel Henry

L’aéroport porte le nom de « Marcel Henry », figure emblématique de Mayotte, cofondateur du Mouvement départementalisée mahorais et ancien auteur de 1977 à 2004. C’est lui qui, par ses combats, a ouvert la voie vers un développement équitable. Donner son nom à l’aéroport, c’est plus qu’un hommage, c’est un rappel de ce que Mayotte revendique depuis toujours : le respect, la dignité, et une place à part entière. 
Alors aujourd’hui, au-delà de la catastrophe naturelle, il est temps de raconter l’histoire d’un aéroport trop longtemps laissé en bout de piste. Un aéroport emblématique, à la croisée des colères, des espérances et des envols contrariés.

L’aéroport Pamandzi — Marcel Henry : une piste née de l’isolement… et du courage

À Mayotte, on n’a jamais attendu qu’on vienne construire pour nous. Quand l’aéroport de Pamandzi voit le jour en 1964, l’île n’est encore qu’un confetti perdu dans l’archipel des Comores. Aucun pont, aucune route moderne, pas même de département à revendiquer. Mais une idée forte : le ciel pour ne plus vivre enfermé.

Cette piste sommaire, posée sur le petit îlot de la Petite-Terre, devient vite un axe vital. Et si elle porte aujourd’hui le nom de Marcel Henry, ce n’est pas un hasard. Ce nom, c’est celui d’un homme qui a porté à bout de bras le rêve d’une île reconnue, protégée, traitée à égalité.

Pendant des décennies, l’aéroport a rempli ce rôle avec bravoure. Vols réguliers, évacuations sanitaires, liens familiaux, espoirs d’avenirs. Mais si la volonté est restée intacte, les murs, eux, n’ont pas bougé.

Aujourd’hui, cette même piste de 1930 mètres peine à suivre le rythme d’une île en pleine croissance. Et dans le cockpit, plus personne ne semble vraiment piloter.

Quand le ciel se referme : le choc du cyclone Chido

Décembre 2024, le cyclone Chido classé phénomène « violet », le plus haut niveau d’alerte, déferle sur Mayotte. Rafales de vent extrêmes, inondations, toitures arrachées, et chaos dans les foyers. Et dans cette tempête, un point névralgique vascille : l’aéroport de Pamandzi.

Déjà affaibli, sous-dimensionné, l’unique aéroport de l’île se retrouve au coeur d’une urgence qu’il n’était pas préparé à gérer.

Évacuations suspendues, vols annulés, et distribution d’aide humanitaire ralentie, dans une île déjà éprouvée, le manque d’infrastructures résiliantes devient criant. Et avec lui, un sentiment d’abandon.

Un aéroport sous perfusion

L’aéroport de Pamandzi — Marcel Henry est aujourd’hui l’unique lien aérien de Mayotte à l’extérieur. Il accueille près de 400 000 passagers par an, avec un terminal étroit, des équipements vieillissants, une piste courte pour les gros porteurs long-courriers, ce qui impose des escales techniques à La Réunion ou Nairobi pour rejoindre Paris.

Il s’agit d’une structure essentielle à la santé, à l’économie ainsi qu’à l’éducation. Mais elle fonctionne avec des moyens insuffisants, dans un climat insulaire instable, sans jamais bénéficier des mêmes efforts d’aménagement que d'autres DOM. L’aéroport n’est pas dimensionné pour faire face aux risques naturels croissants, ni pour accompagner le développement que l’on promet tant à Mayotte.

Des années de promesses en vol stationnaire

Les annonces gouvernementales ont été nombreuses. 

Depuis plus de 10 ans, on parle de rallonger la piste, de moderniser le terminal, de faire de Pamandzi un hub régional stratégique entre l’Afrique australe et l’Europe. Mais rien ne se concrétise. Pas de travaux majeurs. Pas de budget concret. Seulement des visites ministérielles ponctuelles, des discours d’intention, et des projets remis à plus tard, toujours plus tard.

La conséquence ? Un aéroport qui n’évolue pas, alors que les besoins, eux, explosent.Mayotte est souvent évoquée comme le « 101e département », mais elle est encore traitée comme un territoire périphérique, sans urgence ni priorité.

Le cyclone Chido, révélateur de l’abandon total

Le passage du cyclone Chido n’a pas seulement détruit des maisons et fait tomber des arbres. Il a mis en lumière le sous-équipement chronique sur l’île. L’aéroport n’a pas été en capacité d’assurer pleinement son rôle de coordination, d’évacuation et de soutien logistique.Des voix se sont élevées, localement, pour dénoncer la fragilité criante des infrastructures, la lenteur de l’aide, le manque d’anticipation. Et dans chaque critique, une douleur sourde : celle d’un territoire qu’on n’écoute que quand il hurle « au secours ».

Un aéroport, une dignité territoriale

Ce que réclame Mayotte, ce n’est pas un aéroport de luxe, mais un outil à la hauteur de ses réalités. Un outil pour garantir la sécurité, la mobilité et l’égalité des chances. Car l’aéroport n’est pas qu’un lieu de passage : c’est le reflet même d’un territoire et du respect qu’on lui porte.
Mayotte est française. Elle est européenne. Et pourtant, son aéroport ne répond pas aux standards de sécurité, de résilience et de service public que l’on retrouve ailleurs en France. Pourquoi cette différence ?  Pourquoi cette attente ? À travers Pamandzi, c’est toute une île qui se demande : « avons-nous moins de valeur ? ».

Que faut-il de plus pour faire décoller Mayotte ?

Depuis le cyclone Chido, des élus tirent la sonnette d’alarme. Certains réclament un plan Marshall pour l’aéroport et les infrastructures critiques. Mais pour l’instant, aucune mesure concrète n’a été annoncée. Rien de structurant, rien de transformateur.

Or, le climat change. Les risques augmentent. Et le besoin d’un aéroport moderne, sécurisé, et résilient n’est plus négociable.Il est temps d’arrêter de promettre. Il faut agir. Et faire enfin de Pamandzi ce qu’il aurait dû être : un pilier du développement, un pont et une fierté.

L’île invisible ne veut plus l’être : redonner naissance à Mayotte ne devrait pas être un fardeau

Dans le ciel de Mayotte, il n’y a pas que des avions. Il y a des espoirs suspendus, des départs douloureux et des retrouvailles plein​es de lumière. L’aéroport de Pamandzi est bien plus qu’une infrastructure. 

C’est une promesse à tenir et un avenir à ouvrir. Le cyclone Chido a tout emporté, sauf la détermination des Mahorais. 

Et peut-être que dans les débris du cyclone, se cache enfin une prise de conscience : qu’un territoire ne peut se développer sans moyens, sans considération et sans respect. Faire décoller un aéroport, c’est aussi faire décoller une île

Et cette fois, Mayotte ne demande plus : elle mérite et elle exige.